Société Française des Infirmier(e)s Anesthésistes
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Peut-on faire disparaître une profession ?
Article mis en ligne le 26 septembre 2023
dernière modification le 23 janvier 2024

par Arnaud Bassez

Article commandé à la SOFIA, en avril 2023 par un média, qui après avoir sollicité plusieurs fois la SOFIA qui a répondu favorablement à chacune des demandes, semble avoir des "pudeurs" vis-à-vis du corps médical.
Il semble que la rédaction du magazine en question se soit quelque peu effrayée des propos ci-dessous. Forcément, quand les IADE s’insurgent contre la dynastie médicale, cela ne saurait être publié.

Liberté d’édition quand tu les tiens...

Peut-on faire disparaître une profession ?

« On ne frappe pas un ennemi à terre. Mais alors quand ?  »

Lucien Guitry
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Les infirmiers anesthésistes diplômés d’État, (IADE), sont-ils solubles dans le maelström des réformes politiques, des volontés des uns, des souhaits des autres ? C’est la question que notre profession se pose en effet, suite au revers à deux mains le long de la ligne du décideur public, qu’elle vient de subir lors de l’arbitrage sur la pratique avancée.

L’ex ministre de la santé, ex syndicaliste et ex urgentiste, avait remisé à la fin de l’année 2023 (traduction : aux calendes grecques, car en politique, l’annonce est l’ennemie du résultat), le débat sur les IADE, ouvert par la proposition de loi Rist « sur l’amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé  ». Les IADE ont été à-peu-près écartés de toute réunion importante sur le sujet, si ce ne sont les concertations de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), aboutissant à un rapport (1) publié le 16 janvier 2023, jour où le texte examinant notre éligibilité à cette pratique avancée, était étudié, puis rejeté à l’Assemblée nationale.
Merveilleuse coïncidence des aléas calendaires savamment étudiés...

Mais si deux rapports IGAS (2) reconnaissent implicitement une plus-value indéniable et un exercice de pratique avancée aux IADE, les harpies médicales tant syndicales que savantes, ne l’ont pas vu de cet œil de strix ni entendu de cette oreille de busard, mais ont poussé immédiatement des cris d’orfraie. Toujours promptes à surveiller les chemins balisés de leurs prébendes et pré carré, les éminences « recommandantes », se sont offusquées et ont brandi leur 49-3 patenté : un refus de l’évolution de la profession IADE, active depuis 1947, au nom de la sécurité des patients. Le tout dans une déferlante rageuse de vidéos, de communiqués et de lobbying rarement constatée, avec son acmé inédite : l’appel à une grève contre les IADE ! Chacun appréciera.

Le 11 avril 2023, le syndicat des praticiens hospitaliers de l’anesthésie-réanimation, co-auteur de cette ire logorrhéique conjuguant « je tue il », était reçu par le ministre de la Santé (privilège corporatiste, les soignants étant abonnés aux conseillers). Outre vouloir sanctuariser l’acte d’anesthésie, ce syndicat n’a pas manqué d’évoquer sa vision de notre évolution qui effraie tant les affidés de l’anesthésie-réanimation-urgences, même ceux à diplôme hors Union européenne !

Parler pour les autres, se considérer propriétaires des IADE et de leur devenir, vouloir tout régenter, sont des us ataviques chez les médicaux.

Point de consultation qui ne soit pas médicale, oubliant qu’elle peut être éducative, sophrologique, hypno-thérapeutique, dédiée à la pose de voies veineuses écho guidées ou de prise en charge de la douleur, par exemple. Qui parlera du côté médical d’une diététicienne faisant sa consultation en vue de rééquilibrer les silhouettes et d’apporter de l’ordre dans les assiettes, ou de la prise en charge d’un kinésithérapeute, face à un patient au genou meurtri sur les pentes miraculeusement enneigées de notre beau territoire de France ? Une consultation n’a pas de corollaire médical systématique. Elle est un bilan permettant la prise en charge d’un patient en vue d’améliorer son devenir.

Dernière avanie, la publication du rapport (3) le 6 avril 2023, de la commission mixte paritaire, chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi Rist. On y lit que la rapporteure, porteuse du projet de loi portant son patronyme, propose également de supprimer les dispositions visant à autoriser l’accession à la pratique avancée, aux titulaires de diplômes non délivrés par l’université. Le « stock » semble visé.

C’est donc une fin de non-recevoir et une invitation pour que nous mouvions, afin de faciliter une fluidité de circulation loin du sujet. Circulez il n’y a rien à voir, en langage courant.

Devant tout ce déni, les IADE se trouvèrent fort dépourvus quand la bise ministérielle, parlementaire et médicale fut venue. Rien pour l’investissement sans faille lors de la pandémie. Rien pour les télamons publics des blocs opératoires et services d’urgences des hôpitaux du même métal. Rien pour les cariatides et atlantes des blocs opératoires du secteur privé, sphère incapable de survivre sans cette main d’œuvre hautement qualifiée, permettant de faire tourner la rentabilité à plein régime pour certains armateurs ravis de disposer de ces navigateurs de salles en solitaire, assurant leurs transbordements financiers, tout en refusant via l’amirauté, l’appontement du bateau IADE à la capitainerie de la pratique avancée.
Ingratitude des poches pleines, fatuité de la cuillère d’argent buccale.

Refoulés des SMUR par la société des urgentistes, qui pourtant durant leur internat, se frottent à la dextérité et au professionnalisme des IADE et en apprennent beaucoup plus d’eux qu’ils n’auraient pu le supputer, le monde de l’oxyologie fait table rase du passé, quitte à dégrader la qualité de prise en charge (IADE vs IDE). Pas d’ancillaire qui pourrait, par sa formation, son savoir et son expérience, être une aide précieuse. Pas d’hydre de la prise en charge. Une seule et unique tête pensante. Un unique démiurge.

Alors que le Conseil infirmier international (CII), fédération de plus de 130 associations nationales, représentant 28 millions d’infirmières et d’infirmiers dans le monde, a reconnu la pratique avancée pour les IADE, par la déclaration de principe de la Registered Nurses Association of British Columbia (RNABC) en 2001, codifiée en 2020 par le CII (4), il semble qu’il n’en soit pas ainsi pour les médecins, jaloux de conserver certains bénéfices statutaires.

Si c’est ainsi que nos élites voient les choses, on se demande combien de temps encore, avant que n’arrivent dans les transports primaires, l’équivalent des paramedics anglo-saxons ? Eux, qui n’ont pas le niveau de formation des IADE, ne feront certes pas d’ombre portée.
« Ôte-toi de mon soleil », aurait dit Diogène.

La pratique en hypocrisie est avancée.

Arnaud BASSEZ
Infirmier anesthésiste diplômé d’État
Président de la SOFIA

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Bibliographie

1. Concertation sur la pratique avancée infirmière. Jean Debeaupuis-Patrice Blémont (Rapport IGAS – rédaction août 2022, publication janvier 2023)
2. Trajectoires pour de nouveaux partages de compétences entre professionnels de santé (Rapport IGAS - novembre 2021)
3. Rapport n° 509 (2022-2023) de Mmes Corinne Imbert, sénatrice et Stéphanie Rist, députée, fait au nom de la commission mixte paritaire, déposé le 6 avril 2023, chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé.
4. Directives sur la pratique infirmière avancée (Conseil infirmier international 2020)


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