Société Française des Infirmier(e)s Anesthésistes
Slogan du site
Descriptif du site
La sécurité anesthésique
Article mis en ligne le 29 septembre 2006
dernière modification le 16 août 2022

par Arnaud Bassez

Le décret n° 94-1050 du 5 décembre 1994 a été codifié dans le Code de la santé publique

  1. Partie réglementaire (Articles R1110-1 à R6431-76)
  2. Sixième partie : Établissements et services de santé (Articles R6111-1 à R6431-76)
  3. Livre Ier : Établissements de santé (Articles R6111-1 à R6164-5)
  4. Titre II : Équipement sanitaire (Articles R6121-4 à D6124-481)
  5. Chapitre IV : Conditions techniques de fonctionnement (Articles D6124-1 à D6124-481)
  6. Section 1 : Activités de soins (Articles D6124-1 à D6124-185)
  7. Sous-section 5 : Anesthésie (Articles D6124-91 à D6124-103)

Décret n° 2005-840 du 20 juillet 2005 relatif à la VI° partie (dispositions réglementaires) du code de la santé publique et modifiant certaines dispositions de ce code ;
NOR:SANP0522707D ;
J.O. du 26/07/2005 texte n°5 et J.O. du 26/07/2005 texte n°101

Chapitre IV. Conditions techniques de fonctionnement. Section I : activités de soins. Sous section 5 : Anesthésie.
o Articles D.6124-91 : Dispositions générales.
o Articles D.6124-92 : Consultation pré anesthésique.
o Articles D.6124-93 à D6124-96 : Anesthésie.
o Articles D.6124-94 à D6124-103 : Surveillance continue post interventionnelle.

Arrêté du 18 août 2004 modifiant l’arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants

Arrêté du 3 octobre 1995 En cas de défaillance de l’alimentation normale en gaz à usage médical des matériels ou dispositifs médicaux, des systèmes techniques permettent de poursuivre les soins en cours.)

Arrêté du 3 octobre 1995 relatif aux modalités d’utilisation et de contrôle des matériels et dispositifs médicaux assurant les fonctions et actes cités aux articles D712-43 et D.712-47 du code de la Santé publique

Décret no 95-993 du 28 août 1995 portant diverses dispositions relatives à l’organisation et l’équipement sanitaires et modifiant le code de la santé publique

Décret n° 94-1050 du 5 décembre 1994 relatif aux conditions techniques de fonctionnement des établissements de santé en ce qui concerne la pratique de l’anesthésie et modifiant le code de la santé publique

La sécurité anesthésique (Rapport de 1993)

Rapport sur la sécurité anesthésique (1993)

Arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants

L’ANESTHÉSIE EN FRANCE EN 1996
L’enquête "3 jours d’anesthésie en France", enquête INSERM/SFAR
Rapport du haut comité de la santé publique sur la sécurité anesthésique
L’affaire Farçat
Affaire médico-judiciaire ayant par la suite instauré la création des salles de réveil.
Matériel d’anesthésie, appliquer l’arrêté rien que l’arrêté. Maïtre Phillip Cohen (document SNARF)

La sécurité en anesthésie

Le risque d’accident mortel en anesthésie se situe entre 10-5 par opération (0.7 :100’000) pour les cas simples et 10-3 pour les cas à haut risque [2,37]. Le risque de décès en chirurgie est de l’ordre de 10-4, mais celui de la chirurgie cardiaque est de 10-3 [4,63]. Pour comparaison, le risque est inférieur à 10-6 dans l’aviation civile (1 : 3-4 millions de vols), de 10-4 pour le trafic routier, et de > 10-2 dans l’alpinisme de haute altitude (1 décès sur 30 ascensions au dessus de 8’000 mètres). Aucune activité humaine ne présente de risque de l’ordre de 10-7 (1 : 10 millions), qui apparaît comme une limite infranchissable.

Les efforts de ces vingt dernières années ont fait de l’anesthésie une discipline médicale où le sens de la sécurité s’est particulièrement développé. Il doit continuer à se renforcer sur de nombreux points (voir Améliorations possibles). Mais le risque zéro n’existe pas. Une sécurité absolue nécessiterait une investissement infini, donc bloquerait toute activité. La voie empruntée par les systèmes hyperfiables comme l’aviation civile n’est pas intégralement transposable en médecine, où interviennent d’autres contraintes que celles de la sécurité [9].

Dilemme entre deux voies

  • Voie normative

Les systèmes fondés sur l’hypersécurité (aviation commerciale, centrales nucléaires, etc) visent un taux d’accident inférieur à 1 : 106 opérations. Ils y parviennent par une voie normative faite de protocoles stricts, de procédures codifiées, de contrôles constants et de respect des consignes de sécurité qui restreignent considérablement l’autonomie des acteurs [9]. Les compétences y sont standardisées au point de fournir une prestation équivalente pour chaque vol, quel que soit le pilote. Cette voie impose de modifier profondément la conception de l’activité médicale sur plusieurs points [1].

Restriction de l’autonomie des médecins. Imposer des recommandations ayant force de loi sur une série d’actes médicaux restreint l’indépendance d’une profession farouchement attachée à sa liberté de jugement et d’action.
Standardisation des compétences. Le but est de fournir une prestation optimale et équivalente pour chaque patient, ce qui rend le personnel médical interchangeable. Ceci va à l’encontre de l’image du médecin dont le prestige tient à ses performances exceptionnelles et à l’encontre de l’idée que se fait le patient de pouvoir choisir le meilleur praticien.
Limitation des performances maximales. Certaines situations engagent le médecin dans des interventions audacieuses et risquées dont les résultats sont souvent aléatoires. Une certaine idée de sa disponibilité permanente le pousse à accumuler de trop longues périodes de prestations continues (gardes à la suite du programme quotidien) à la fin desquelles sa marge de sécurité est dangereusement rétrécie ; pourtant, 71% des chirurgiens estiment que leur performance n’est pas altérée par la fatigue [51]. Ce phénomène est également lié à des restrictions de personnel imposées par des décisions managériales prises en amont.
Limitation du débit opératoire. Les conditions de sécurité ne sont plus remplies lorsque le flux de patients plus ou moins urgents est excessif ; la demande des malades et des soignants limite les restrictions que la sécurité impose à une surcharge du système, alors que le report d’un vol de ligne pour raison de sécurité est accepté plus facilement.
Entraînement au simulateur. La rareté des simulateurs de salle d’opération fait que cette possibilité de construire la notion d’équipe et de se tester dans des situations de crise n’est pas entrée dans la routine de la formation continue.

  • Voie adaptative

Cette voie est basée sur les hautes performances de l’individu, sur l’autonomie décisionnelle et sur le calcul des risques. Elle permet de sortir de la routine et d’étendre l’activité aux cas extrêmes. Il n’y a pas lieu de la condamner au nom des normes de sécurité car elle a toute sa raison d’être en médecine.

L’indépendance de jugement et l’esprit critique sont nécessaires aux décisions éthiques qu’un médecin doit prendre dans les cas difficiles.
Les compétences ne sont pas entièrement standardisables dans une profession où les gestes techniques ont une grande importance comme en anesthésie ou en chirurgie.
Certaines interventions ne sont possibles qu’en prenant des risques majeurs, qui sont justifiés par la qualité de vie obtenue en cas de succès. La chirurgie cardiaque pédiatrique, par exemple, permet à > 85% des enfants d’arriver à l’âge adulte ; il n’y a pas lieu de la limiter parce qu’elle a une mortalité de 5-10%, sans quoi aucun de ces enfants ne survivrait.
Le soignant a l’obligation morale de tout entreprendre pour sauver ou pour soulager son patient, ce qui peut impliquer des interventions de sauvetage peu sûres, naturellement grevées d’une mortalité élevée (5-20%).

  • Sécurité en anesthésie

Les systèmes hypersûrs suivent une voie normative (protocoles stricts, contrôles constants, respect des règles de sécurité), mais celle-ci limite l’autonomie des acteurs et les performances maximales
La voie adaptative est basée sur les performances individuelles, l’autonomie décisionnelle et le calcul des risques ; elle autorise des activités grêvées d’un risque élevé (chirurgie cardiaque pédiatrique, chirurgie du vieillard ou de l’urgence, par exemple)
La sécurité en salle d’opération est le fruit d’une synthèse entre la voie normative et la voie adaptative

  • Synthèse

Les systèmes ultra-sûrs sont caractérisés par des contraintes extrêmes qui ne laissent plus la possibilité de tout mettre en œuvre pour sauver un patient en état grave. La solution optimale se trouve évidemment dans un équilibre dynamique entre la sécurité et l’autonomie. D’autre part, le tout sécuritaire a lui-même ses propres limites.

Les mesures de précaution pour limiter les risques de contamination HIV lors de transfusions sanguines en ont amélioré considérablement la sécurité (risque de contamination virale 1 : 105), mais ont restreint le nombre de donneurs au point de mettre en danger des malades par anémie aiguë due au manque de flacons disponibles [34].
Comme il n’est pas concevable de disposer de simulateurs pour toutes les pathologies, les centres d’enseignement auront toujours des résultats moins bons que les institutions où tous le personnel est pleinement formé [33].
Les centres qui recueillent les urgences vitales et les cas extrêmes ne pourront jamais présenter d’aussi bons résultats que ceux qui ne prennent en charge que des cas routiniers.
Les effets pervers d’une recherche de l’excellence sont une accumulation de réglementations qui finissent par se contredire ou un suréquipement de systèmes de surveillance qui sature l’attention du praticien et qui présente lui-même son propre taux de pannes. L’excès devient contre-productif.
La perte de visibilité du risque dans les systèmes hyper sûrs crée un tel sentiment de confiance que la vigilance diminue naturellement.
Le fait de se lancer dans une activité périlleuse, comme une dissection aortique ou un sauvetage en montagne, implique d’être particulièrement vigilant sur tous les détails qui touchent à la sécurité de l’entreprise, puisque l’on est typiquement dans une situation à couplage serré, donc à faible marge de manœuvre.

Améliorations possibles

Le but étant évidemment d’offrir le maximum de sécurité à nos patients, quelles sont les possibilités d’améliorer les résultats dans une discipline complexe en charge de situations à risque comme l’anesthésie cardiaque ? Il s’agit d’abord d’admettre qu’une médecine sans erreur n’existe pas, et ensuite de trouver des solutions optimales portant sur le plus grand nombre de points d’impact [42].

Niveau institutionnel

Sur le plan institutionnel, le renforcement de la sécurité peut être abordé par une série de facettes différentes.

Identifier les risques et les zones d’insécurité : recherche les complications les plus fréquentes, les plus sévères, les moins acceptables, les plus faciles à prévenir.
Rendre le système plus robuste à la survenue des erreurs humaines : dilutions médicamenteuses opérées par la pharmacie, étiquetage codifié avec des couleurs et/ou des formes différentes, ergonomie optimale des appareils, double contrôle de l’identité du malade et de l’opération prévue à l’entrée en salle d’opération, etc.
Utiliser les check-lists déjà recommandées, telle celle de l’OMS qui marque les trois temps principaux de l’intervention (entrée en salle, incision et sortie de salle). Les contrôles portent sur l’identité du patient, ses particularités médicales, le site opératoire, le matériel et les problèmes anticipés [26,38]. On peut obtenir cette check-list sur le site de l’OMS :
 http://www.who.int/patientsafety/safesurgery/ss_checklist/en/
 http://whqlibdoc.who.int/publications/2009/9789241598590_eng_checklist.pdf
La checklist hollandaise concernant le peropératoire et le périopératoire [14] est consultable sur :
 http://www.surpass-checklist.nl/home.jsf
 http://webcache.googleusercontent.com/search?client=safari&rls=fr-fr&oe=UTF-8&redir_esc=&hl=fr&q=cache:Z6A4H9atuucJ:http://www.nursing.nl/pdfdownload/5113+Surgical+Patient+Safety+System&ct=clnk

Mettre au point des algorithmes de panne pour la prise en charge réflexe des situations à haut risque : intubation difficile, traitement de la défaillance ventriculaire, de l’ischémie aiguë, de la crise hypertensive, de la sortie de circulation extracorporelle, etc. Dans les cas particuliers, des plans sont pré-établis par l’équipe en fonction de la situation.
Disposer dans chaque salle d’opération et pour chaque membre de l’équipe d’un manuel simple contenant les protocoles, les recommandations et les marches à suivre des diverses procédures (Guidelines), ainsi que les algorithmes des situations d’urgence ; ce manuel peut se présenter sous forme de livret ou sous forme informatique. Malheureusement, la compliance avec les recommandations est modeste dans le corps médical, qui les ressent comme une frustration à son autonomie et qui en critique la disparité [25].

Adopter un système anonyme, confidentiel et non punitif de rapport et d’analyse des incidents critiques ou des accidents (incident report), de manière à ce que l’événement dangereux survenus aux uns puisse profiter à l’accroissement des connaissances de tous [54]. Apprendre de ses erreurs est la meilleure manière de ne pas les répéter. Identifier les points fragiles est le seul moyen de parer aux désastres potentiels. Un tel système existe en Suisse par voie électronique (Critical Incident Reporting and Reacting Network, CIRRNET) :
http://www.sgar-ssar.ch/CIRRNET-CIRS-National-Anesthe.166.0.html?&L=1
https://www.cirrnet.ch/index.asp
L’analyse des incidents permet d’éviter de nombreuses catastrophes parce qu’ils sont beaucoup plus fréquents que les accidents et parce qu’ils partagent les mêmes causes.

Niveau comportemental

Les médecins, naturellement individualistes, ont tendance à sous-estimer lourdement leur tendance physiologique à commettre des erreurs. Obnubilés par un sentiment de toute-puissance, ils tendent à les scotomiser, ou à les considérer comme une défaillance, donc une faute professionnelle. C’est un état d’esprit qu’il faut faire progressivement évoluer par différents moyens.

Renforcer la cohésion du travail en équipe (teamwork). Ceci implique d’abandonner l’esprit hiérarchique qu’a cultivé le mandarinat au profit d’un système d’équipartition des responsabilités et de rétrocontrôle mutuel des activités. Le partage des informations, la communication adéquate, la répartition claire des tâches et le respect des mêmes attitudes en cas de problème inattendu sont des prérequis fondamentaux au succès d’une journée opératoire.
En cas de crise, l’équipe doit retrouver momentanément un système hiérarchique dirigé par un team leader choisi pour sa compétence ; celui-ci va centraliser les informations et organiser les activités au sein de l’équipe.
S’entraîner sur simulateur. En médecine, les gestes à risque (intubation, pose de voies vasculaires, loco-régionale) sont malheureusement entraînés sur des malades réels. Le simulateur offre des possibilités très étendues d’apprentissage sans compromettre la santé d’un patient. D’autre part, il permet au personnel de s’habituer aux situations de crise de salle d’opération et d’apprendre à les gérer en équipe coordonnée ; revoir l’enregistrement de la manière dont on a pris en charge un événement critique est la meilleure manière de se convaincre de l’importance des facteurs humains [25,43]. Le simulateur offre une preuve objective du comportement individuel dont l’évaluation reste autrement très subjective, notamment lorsqu’il s’agit de sélectionner le personnel.
Sélectionner des individus (médecins, infirmières, techniciens, gestionnaires) capables de bien gérer le stress, de résister aux pressions, de maintenir leur niveau de vigilance et de se comporter de manière homogène en équipe, alors que la sélection actuelle n’est basée que sur les connaissances intellectuelles et les performances techniques. L’évaluation des capacités humaines (Non-technical skills, NTS), par exemple au simulateur, porte essentiellement sur quatre points (www.abdn.ac.uk/iprc/ants) [19,20] :
Attention à la situation (recherche d’informations, vigilance, anticipation) ;
Capacité décisionnelle (identification des options, choix, ré-évaluation) ;
Organisation des tâches (planification, choix des priorités, respects des standards) ;
Travail en équipe (communication, relation avec les collaborateurs, entraide).
Ce type de sélection s’est déjà avéré être un moyen fiable de prédire les performances du personnel de salle d’opération [22].
Sélectionner des individus qui présentent suffisamment de sens des responsabilités et de rigueur intellectuelle pour s’investir avec la même énergie et la même perspicacité dans un geste banal ou dans une intervention sophistiquée.
Créer une culture de la sécurité au sein de l’équipe soignante et de la gestion hospitalière : pourchasser la banalisation des déviances, assurer le respect des routines d’activités et des recommandations de sécurité (guidelines), éviter de se laisser enfermer dans des situations à couple serré.
Il est capital de garder en permanence à l’esprit que toute activité, médicale ou autre, présente un certain potentiel à mal tourner et de savoir qu’on ne modifie que la probabilité d’incidence des accidents ; l’effet de toutes ces mesures n’est apparent que sur le long terme. La seule preuve de leur efficacité est qu’il ne se passe rien d’anomal ; le succès est ici un non-événement.

La Déclaration d’Helsinki pour la sécurité des patients en anesthésie (Helsinki Declaration on Patient Safety in Anaesthesiology) résume les options de base nécessaires à améliorer les conditions de sécurité en salle d’opération (Figure 2.6) [41]. Elle exprime l’opinion des Sociétés d’Anesthésie Européennes. Elle est téléchargeable sur le site :

http://www.euroanesthesia.org/sitecore/content/Publications/Helsinki%20Declaration.aspx
http://www.euroanesthesia.org/sitecore/Content/Publications/Helsinki%20Declaration/Text%20of%20the%20Helsinki%20Declaration.aspx
D’autre part, la Société Suisse d’Anesthésie et de Réanimation (SSAR) met à disposition sur son site internet un certain nombre de résumés (flyers) concernant la sécurité de différents actes d’anesthésie :

http://sgar-ssar.ch/Flyer-Avis-de-securite.67.0.html?&L=1
http://sgar-ssar.ch/Securite-de-la-qualite-en-anes.57.0.html?&L=1

Améliorations possibles de la sécurité

Robustesse contre les erreurs : ergonomie des appareils, préparations médicamenteuses codifiées, contrôles d’identité du patient et du type d’intervention prévu
Algorithmes et plans pré-établis par l’équipe pour les situations à risque
Cohésion, communication et culture de sécurité au sein de l’équipe soignante
Sélection du personnel non seulement en fonction de ses performances intellectuelles et techniques mais aussi en fonction de ses qualités comportementales (Non-technical skills)
Apprentissage de la gestion des crises sur simulateur : vigilance, anticipation, réaction au stress, leadership, respect des procédures et des algorithmes, évitement de l’effet tunnel et des couplages serrés

Dans cet ouvrage, les recommandations proposées n’ont pas valeur de loi ni de consensus, mais sont guidées par l’idée d’offrir la sécurité optimale. Elles ont été pensées pour des services d’enseignement où l’inexpérience des jeunes médecins impose des marges de sécurité importantes, car il leur manque encore le jugement clinique fondé sur l’expérience personnelle pour être capable d’adapter la technique d’anesthésie à la particularité de chaque patient. Ce jugement est une base essentielle de la pratique médicale (judgment-based medicine), qui ne doit pas être voilée par la tendance actuelle de donner la prépondérance à l’évidence issue d’études comparatives (evidence-based medicine) ; ces dernières n’ont ni la capacité ni la puissance de mettre en évidence des évènements rares mais potentiellement catastrophiques [60].

Syndrome d’épuisement professionnel

Le burnout

Le stress constant éprouvé dans un bloc opératoire pendant de nombreuses années peut conduire à un état d’épuisement professionnel. Ce syndrome décrit un tarissement progressif des ressources de l’individu, lié à une relation d’aide qui ne fournit plus la gratification que l’individu en attend [5.21]. Le terme de burnout, emprunté à l’argot de la drogue, a été utilisé pour décrire la fatigue et la frustration ressenties par des personnes travaillant comme volontaires dans des cliniques dédiées à des marginaux et à des drogués [21]. Par définition, cet épuisement survient chez des gens normaux qui s’investissent passionnément dans un travail de prise en charge des autres sans en apercevoir le déséquilibre relationnel, et qui perdent progressivement leur énergie et leur motivation dans des situations excessivement harassantes. Son intensité est liée à l’écart que ressent le sujet entre ses exigences face à la demande et ses capacités à y répondre, sans qu’on puisse en définir une échelle objective. Le burnout se différencie de la dépression par le souci de relever les défis coûte que coûte, alors que le dépressif abandonne face à la tâche. Ce concept a été ultérieurement systématisé en trois composantes distinctes par Maslach [40] :

Epuisement émotionnel, caractérisé par une absence d’énergie, une lassitude et une irritabilité chroniques.
Dépersonnalisation, qui est une perte d’affectivité voisine du cynisme, aboutissant à voir les patients comme des objets.
Manque d’accomplissement personnel, ou perte d’estime de soi, traduite par des sentiments d’incompétence, d’inefficacité et d’inutilité.
L’épuisement émotionnel, noyau initial du syndrome de burnout, en est toujours l’élément prédominant ; il est directement lié à la surcharge des demandes qui pèsent sur l’individu et à son impossibilité d’y répondre ou de contrôler efficacement son travail ; cette perte d’autonomie s’accompagne d’un sentiment de frustration et de culpabilité, car le soignant ne peut plus accorder aux autres l’énergie qu’il estime leur devoir. La dépersonnalisation est plutôt liée à l’insuffisance des ressources, et aux difficultés relationnelles entre collègues ou avec des patients non compliants ; elle est souvent considérée comme une réaction à l’épuisement (« réponse aux autres ») sous forme d’une stratégie de repli protecteur dans une froideur détachée de toute relation personnelle avec les patients [5]. Ce comportement est renforcé par l’image d’un maintien stoïque et distant que le thérapeute veut donner de lui-même, et par la nécessité d’atténuer le risque de compromettre l’efficacité thérapeutique par la pitié ou l’angoisse. La troisième composante du syndrome est la perte d’accomplissement personnel due au sentiment d’absence de gratification (« réponse pour soi ») . En effet, le sentiment d’être performant et utile protège l’image que le soignant a de lui-même face à la surcharge des demandes et à la difficulté des relations ; lorsqu’il est perdu, l’effet-tampon ne fonctionne plus, et la mésestime de soi vient renforcer le sentiment de lassitude.

Les deux premières composantes sont fortement reliées entre elles, alors que le troisième élément peut évoluer de manière assez indépendante : les médecins affichent typiquement des scores très sérieux pour l’épuisement émotionnel (jusqu’à 58%) et moyens pour la dépersonnalisation (environ 35%), alors que leur sentiment d’accomplissement personnel reste satisfaisant car, même épuisés, ils sont fiers de ce qu’ils font. Toutefois, les services de soutien affichent des scores d’accomplissement personnel nettement inférieurs à ceux des services de soins cliniques. En effet, ils souffrent de ne pas ressentir la gratification offerte par la guérison des malades qu’ils ont traités, puisqu’ils n’ont pas d’activité thérapeutique directe et qu’ils ne voient les malades en-dehors du bloc opératoire ou du service de radiologie [46]. En milieu infirmier, où l’incidence du burnout est sensiblement plus élevée, la perte du sentiment d’accomplissement personnel et de l’estime de soi sont en général au même niveau que les deux premières composantes. S’échapper de la sphère des soins pour se cantonner dans la gestion n’offre aucun refuge : plus de la moitié des chefs de service d’anesthésiologie souffre de burnout (score élevé cheu 28% et modéré chez 31% d’entre eux) [13] ; les principaux facteurs incriminés sont le manque de satisfaction professionnelle et l’absence de soutien au travail et en famille.

Le burnout au bloc opératoire

Une enquête réalisée au sein du bloc opératoire du CHUV avait donné les résultats suivants pour l’ensemble des personnes interrogées [7] :

  • Épuisement émotionnel : élevé : 25%, modéré : 47%, bas : 28%
  • Dépersonnalisation : élevé : 26%, modéré : 65%, bas : 9%
  • Manque d’ accomplissement personnel : élevé : 32%, modéré : 37%, bas : 31%

Les femmes sont nettement plus marquées que les hommes par l’épuisement émotionnel (33% versus 16% pour le score élevé) et souffrent davantage du manque d’accomplissement personnel (39% versus 24%).

Les instrumentistes ont les scores les plus importants pour toutes les composantes du burnout ; les médecins ont un meilleur sentiment d’accomplissement personnel que les infirmières ; il existe un clivage très significatif entre les résultats groupés du personnel fixe du bloc opératoire (instrumentistes et anesthésistes) et ceux des chirurgiens ; ces derniers sont moins épuisés émotionnellement et ont un meilleur sentiment d’accomplissement personnel. D’une manière générale, il n’y a pas de différence entre les groupes pour la dépersonnalisation : les 91% des personnes interrogées se situent dans les catégories de score moyen et élevé ; cette donnée met en évidence le fait que les spécialités du bloc attirent naturellement des individus qui ne recherchent pas un contact humain poussé avec les malades.

De ce point de vue, la deuxième composante du burnout ne contribue pas à déterminer l’importance de l’épuisement professionnel dans la population d’un bloc opératoire.

La troisième composante doit être interprétée en fonction des caractéristiques propres à des services de soutien : la cohorte interrogée se répartit en trois tiers presqu’égaux, avec une légère prédominance dans le groupe supérieur (38% de manque grave). Là non plus, le test ne discrimine pas l’importance du burnout ; ce fait illustre essentiellement la perte d’estime de soi propre aux membres des services de soutien, qui sont gratifiés davantage pour leur disponibilité que pour la qualité de leur travail, et qui ne bénéficient pas auprès des patients de l’aura d’une discipline thérapeutique. Ils souffrent notamment d’une absence de contrôle sur leur charge de travail (modifications de programme, horaires prioritaires des chirurgiens, interruptions, surveillance de plusieurs cas de front, urgences). La photographie obtenue du bloc opératoire donnée par les réponses sur le burnout est nettement plus pessimiste que la plupart des enquêtes analogues réalisées jusqu’ici dans les milieux hospitaliers, notamment en ce qui concerne l’image de soi. Elle est par contre confirmée par une étude américaine récente, qui montre un score de burnout élevé dans le personnel d’un bloc opératoire [31]. Dans ce travail, les assistants ont un score nettement plus élevé que les médecins cadres et que les infirmières, mais tous ressentent un manque de gratification par rapport à leur investissement professionnel et tous manifestent des attentes irréalistes par rapport à leur activité médicale.

Coût du burnout

Si l’on en parle ici, c’est que l’épuisement professionnel a un coût évident en terme de sécurité. En effet, les performances techniques et la vigilance des gens épuisés diminuent significativement. Cette baisse compromet gravement la qualité du travail d’une équipe dans 50% des cas [46]. De plus, le burnout se traduit par une fatigue chronique, une dépression, un absentéisme et risque d’accident professionnel qui représentent, toutes professions confondues, une perte de 4.2 milliards de francs par an en Suisse [45].

Le burnout

Le syndrome d’épuisement professionnel des soignants, ou burnout, est lié à une relation d’aide qui ne fournit plus la gratification que l’individu en attend. Il est caractérisé par 3 composantes
 l’épuisement émotionnel
 la dépersonnalisation
 la perte de l’estime de soi
Il atteint essentiellement des personnalités normales, très investies dans leur engagement, qui travaillent dans des services de soutien à haut risque (anesthésistes, urgentistes, intensivistes) ou dans des soins à faible incidence thérapeutique (cancérologie, soins palliatifs)
Les personnes émotionnellement épuisées peuvent devenir un facteur de risque pour la sécurité.

Conclusions

En s’inspirant largement de conceptions issues de l’aviation commerciale, l’anesthésie est devenue une discipline très investie dans la sécurité ; ses taux d’accident et de mortalité ont baissé considérablement ces 20 dernières années (mortalité : 0.7 / 100’000 actes). L’analyse des causes d’accident montre que celles-ci sont toujours multifactorielles et que le risque zéro n’existe pas. La sécurité est un état d’esprit fait d’attention à la multiplicité des erreurs, de vigilance permanente, de rigueur dans les détails et de respect des règles de bonne pratique.

source : precisdanesthesiecardiaque.ch