Société Française des Infirmier(e)s Anesthésistes
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Abécédaire non abcédé
Article mis en ligne le 28 janvier 2012
dernière modification le 20 février 2012

par Arnaud Bassez

Fruit de l’imagination florissante d’un infirmier qui se dit « fatigué, mais on va quand même s’en sortir », c’est un inventaire à la Prévert fait par Didier Morisot, qui nous offre son abécédaire personnel de l’hôpital. On lui dit M.E.R.C.I. !

A - ANESTHÉSIE. Un centre hospitalier pratique quatre types d’anesthésie. Dans un premier groupe, nous trouvons l’anesthésie locale pour les petites interventions, l’anesthésie locorégionale lorsque l’on veut insensibiliser un membre ou la partie inférieure du corps et l’anesthésie générale dans les opérations classiques. Les effets secondaires inhérents à ces pratiques médicales sont bien identifiés : allergie éventuelle, réveil difficile, nausées, asthénie, céphalées… Le deuxième groupe est constitué d’une seule technique, en pleine expansion, l’anesthésie administrative. Elle consiste à endormir le personnel avec un management approprié. L’encadrement utilise des méthodes diverses, mais très éprouvées : promesse de titularisation, groupe de travail où l’heureux participant se sent valorisé, système de notation en lien avec une prime de service, recueil d’informations sur les collègues par le biais d’agents en quête de promotion… Ce système, qui emprunte beaucoup au monde de la politique, occasionne cependant de nombreux effets secondaires : aigreurs d’estomac, soupe à la grimace, absentéisme, mouvements sociaux…

B - BRANCARD. Sorte de lit à roulettes servant au transport d’un patient, ou lui permettant de se reposer entre deux examens. On s’est aperçu que, pour un individu donné, le temps passé dessus est inversement proportionnel au statut social de l’intéressé. S’il est de plus en plus long pour le commun des mortels, il est bizarrement très réduit dans certaines cliniques privées. L’hôpital du Val de Grâce, pourtant établissement public, fait lui aussi exception, de façon inexplicable... Les personnalités (politiques, entre autres) qui y sont soignées, n’attendent jamais dessus (une après-midi entière) qu’un médecin soit disponible pour les ausculter.

C - CONCERTATION. Élément essentiel de la démocratie participative dans nombre d’entreprises, l’hôpital public ne faisant pas exception. Cette concertation offre au personnel l’occasion de donner son avis au sein des groupes de travail chargés de monter des projets ou de résoudre certains problèmes. Ainsi, lors de la construction, ou de la rénovation d’un service, l’avis des infirmières ou des aides-soignantes est primordial. Elles peuvent influencer le débat et choisir, par exemple, la décoration murale de certaines pièces. Je veux parler des toilettes, bien sûr, pas du hall d’accueil…

D - DÉAMBULATEUR. Pièce maîtresse de la prochaine réforme des retraites à l’hôpital. Afin d’allonger la durée d’activité du personnel soignant en accompagnant le déclin de son potentiel physique, toute personne qui en fera la demande se verra offrir un déambulateur afin de la soutenir dans son effort. Les plus fatiguées se verront attribuer un fauteuil roulant.

E - ÉCRITS INFIRMIERS. Partie administrative du métier. Les écrits infirmiers (transmissions ciblées, rapports d’activités, recueils d’informations…) sont en progression constante. Développés dans un souci de rigueur et d’efficacité, ils sont censés également réduire les temps de consigne orale entre professionnels. Bonjour la convivialité… En fait, ils participent activement à la dissolution des vocations infirmières (voir lettre W) en dénaturant la nature de la profession. Ils font par ailleurs la joie d’un nombre croissant d’avocats, formés à l’école anglo-saxonne.

F - FORMATION PERMANENTE. A l’hôpital, les finances allouées à ce secteur d’activité présentent la même dynamique que la calotte polaire... elles fondent à vue d’œil. Mais, contrairement à cette dernière qui subit les conséquences du réchauffement climatique, la formation permanente souffre d’un phénomène inverse, à savoir le gel des crédits.

G - GROSSESSE. Heureux événement en perspective, pour le commun des mortels. Cependant, il représente un réel problème dans certains milieux professionnels. Lorsqu’il concerne une infirmière, une aide-soignante… c’est un gros mot à ne pas prononcer devant un cadre hospitalier, et encore moins en présence d’un DRH. La grossesse est au planning infirmier ce que la bombe atomique est à Hiroshima ! (un peu fort, je l’admets...).

H - HÉRISSON. Avec l’oursin, le hérisson est la mascotte du ministère de la santé. Par l’intermédiaire de l’Agence Régionale d’Hospitalisation, celui-ci place ces charmants animaux dans la poche des directeurs d’hôpitaux. De cette manière, l’accès à leur porte-monnaie se fait très difficilement.

I - INFORMATIQUE. Outil extrêmement précieux dans le traitement des urgences, mais très bête s’il est utilisé tel quel. Lors du crash du mont Saint-Odile en 1992, les secours (guidés par satellite) sont ainsi arrivés sur les lieux du drame après les journalistes (renseignés par les gens du cru). Dans un autre domaine, chacun se souvient de la canicule de 2003 et de l’Institut de veille sanitaire, sans réactions particulières. Les préposés de garde, dans leurs pièces climatisées, ne se sont rendus compte de rien. Les ordinateurs étaient en effet programmés afin de signaler une épidémie de variole, un tremblement de terre, le débarquement des martiens… mais pas pour dire qu’il faisait chaud dehors… L’informatique est très utile pour l’infirmière qui peut ainsi se détendre face à un écran (merci !) après qu’elle se soit battue avec les paperasses habituelles...

J - JAUNISSE. Pathologie particulièrement répandue chez les DRH hospitaliers, surtout lorsqu’on prononce certains gros mots devant eux (se référer à la lettre G).

K- KLEENEX. Objet très utilisé chez les infirmières après l’annonce d’une grossesse dans une équipe soignante (se référer toujours à la lettre G).

L - LANCE - PIERRES. Ustensile avec lequel de nombreuses personnes sont rémunérées dans le monde de la santé (personnel auxiliaire, médecins étrangers, infirmières en clinique…).

M - MÉDECINS. Catégorie professionnelle en voie de raréfaction depuis une ou deux décennies. Cette population se maintient toutefois dans quelques milieux ; région parisienne, midi méditerranéen, métropoles régionales… ou certaines cliniques privées. L’hôpital du Val de Grâce qui, pourtant, est un établissement public, échappe de façon inexplicable à ce phénomène national. Cette exception culturelle a déjà été évoquée à la lettre B. Des contacts sont pris avec la République populaire de Chine afin de profiter de son savoir-faire en matière d’espèces protégées. Sa connaissance du panda (toujours au bord de l’extinction) et son programme de reproduction en captivité, seraient une aide précieuse afin de redresser la démographie médicale française.

N - NOTATION. Outil administratif permettant à l’hôpital de porter un jugement sur son personnel. Cet archaïsme (annuel) peut osciller entre le paternalisme bon enfant et l’investigation malsaine, selon la personnalité de l’encadrement. Les limites du système sont atteintes lorsque l’agent concerné obtient la note maximale. Comme il n’a pas toujours le tact de s’effacer à ce moment-là (démission, départ en retraite, décès…), l’administration sort de son chapeau des histoires de classe supérieure ou d’échelon exceptionnel afin de le faire patienter sans qu’il s’énerve trop.

O - ORDRE INFIRMIER. Invention politique participant à l’anesthésie administrative (lettre A). Lorsqu’un corps de métier, ou une catégorie sociale, rencontre certains problèmes, les gouvernements concernés essayent de trouver des solutions. En France, on préfère créer des groupes de réflexion, des associations de professionnels… afin de faire semblant d’être efficace. L’observatoire des prisons, la commission d’études sur le fret ferroviaire, les rapports ministériels sur la réforme de l’éducation… offrant un bel exemple d’immobilisme décisionnel.
L’Ordre infirmier relève donc de cette même logique... peu question de rechercher les causes réelles de la dégradation des conditions de travail, mais plutôt de noyer le poisson en faisant croire aux professionnels qu’ils prennent leur destin en main.

P - PRÉVISIONS (du ministère de la santé). Les dysfonctionnements de plus en plus criants de notre système de santé semblent avoir trouvé une explication. Apparemment, les pouvoirs publics n’ont pas imaginé qu’un certain nombre de français était dans une dynamique de vieillissement et que cela pouvait avoir un impact en terme de consommation médicale. Ils n’ont pas anticipé, non plus, une pénurie de médecins prévisible depuis au moins deux décennies. Et ne parlons pas des fermetures d’IFSI… En fait, il semblerait que les notions de démographie et de statistiques ne soient pas au programme des étudiants de l’École Nationale d’Administration. Il est question de réintroduire ces matières au sein de la prestigieuse école, en proposant aux sujets les plus en difficulté un soutien en mathématiques élémentaires (additions, multiplications…).

Q - « QUI PEUT FAIRE LE WEEK-END ? ». Interrogation hospitalière souvent liée à une explosion de planning. Bizarrement, cette question récurrente devient de moins en moins amusante après quelques années de pratique.

R - RAPPORT (ADMINISTRATIF). Le rapport administratif est un élément essentiel du système hospitalier. Il peut prendre différentes formes ; ainsi, en cas de dysfonctionnement dans un service de soins (emploi d’une tronçonneuse sur un patient ayant pris racine en salle d’attente, sondage gastrique ne recueillant que 20% d’opinions favorables, chambre inondée suite à une erreur de dosage dans l’administration d’un diurétique…), l’infirmière est tenue de rédiger un rapport afin d’expliquer les raisons du problème. La rédaction d’un tel document n’est pas sans conséquences pour l’intéressée. Si l’administration dégage sa propre responsabilité, l’infirmière pourra être mise en cause pénalement. Il est amusant de noter que, parfois, le rapport administratif se rapproche beaucoup du rapport sexuel. Dans ces deux contextes, en effet, on se fait b... à coup sûr…

S - SOINS PALLIATIFS. Ces soins sont destinés à des personnes qui s’éloignent du monde des vivants. Dans leur cas, il s’agit d’un accompagnement discret permettant de réduire la souffrance, de rendre le quotidien supportable, et d’apporter, si possible, un peu de réconfort. Si les soins palliatifs sont assez développés au niveau social (revenu minimum d’insertion, allocation adulte handicapé, minimum vieillesse…), beaucoup reste à faire à l’hôpital. Selon les équipes en place, les personnes en fin de vie peuvent en effet être confrontées à l’acharnement thérapeutique ou à un possible abandon moral de la part de certains soignants.

T - TÉLÉPHONE. Cet ustensile incontournable a été inventé afin de pourrir la vie des hospitaliers ; avec les papiers il constitue pour les infirmières un instrument de torture au quotidien. En cas d’explosion de planning, il poursuit même les professionnels à domicile…

U - USAGER. Nouveau terme employé afin de nommer les personnes recevant des soins à l’hôpital. Il remplace les mots « malade » ou « patient » tout à fait démodés. Il est d’ailleurs question d’aller plus loin dans cette réforme linguistique et de remplacer bientôt « usager » par « client », jugé mieux approprié. Dans cette même veine, les infirmières deviendront des prestataires de service encadrées par des managers formés au marketing, au rendement optimal et à la réduction des coûts de fonctionnement.

V - VALIDATION (des acquis de l’expérience). Cette procédure, récemment instaurée, permet à des professionnels de faire reconnaître leurs compétences acquises sur le terrain et de se voir ainsi délivrer un diplôme équivalent. Par ce biais, de nombreuses infirmières peuvent envisager une seconde carrière et devenir diplomate, casque bleu, psychologue, ouvrière à la chaîne, secrétaire, réceptionniste, punching-ball, hôtesse d’accueil…

W - WHITE-SPIRIT. Produit utilisé comme solvant afin d’éliminer certaines matières indésirables (peinture, cambouis…). Afin de dissoudre une vocation d’infirmière, il vaut mieux travailler dans un établissement maîtrisant l’anesthésie administrative et les sévices téléphoniques (lettres A et T).

X - (rayons « X »). On utilise l’imagerie médicale afin de déterminer la masse cérébrale d’un individu. Cet examen sert au recrutement des informaticiens dans des secteurs très pointus. Si le cerveau représente 30 % du volume de la boîte crânienne, le sujet est orienté vers l’Institut de veille sanitaire. S’il dépasse les 50 %, il lui est proposé d’intégrer les services préfectoraux s’occupant du plan ORSEC). Pour plus d’explications, se référer à la lettre I.

Y - YETI (ou abominable homme des neiges). Le yéti est l’archétype du médecin anesthésiste en fin de garde ; il grogne sans arrêt, fait peur aux infirmières, et lorsqu’on le cherche, personne n’arrive à l’attraper (même si tout le monde l’a aperçu).

Z - ZÉBU Nom masculin ; bœuf domestique, propre à l’Asie, à l’Afrique tropicale et à Madagascar, descendant d’une espèce indienne d’aurochs, caractérisée par une bosse graisseuse au niveau du garrot. Le zébu est élevé pour son lait et sa viande, et comme animal de trait. Accessoirement, cet animal est une référence pour l’encadrement hospitalier : il est rustique, travailleur, docile, silencieux et ne réclame pas d’augmentation. Quelque part, il est l’emblème de l’infirmière idéale ; personne n’a jamais vu un zébu manifester.

Didier MORISOT

Infirmier à Mâcon

Source infirmiers.com


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